HECTOR MELON D’AUBIER

 

 

 

 

présente

 

 

 

ODILE

 

 

 

 

Récit

 

 

 

Élevée en Haute Écosse par sa tante, épouse d’un pasteur, Gwendoline revient en France à leur mort. Son cousin Gérard, veuf depuis plus d’un an, va l’héberger.

Vraie jeune fille, Gwendoline sera en butte à de multiples sollicitations, pendant son voyage d’abord, puis durant une période où, en l’absence de Gérard, l’ardente Chantal lui tient compagnie, la nuit. Gwendoline n’est pas complètement niaise : elle a lu, en Écosse, un traité d’éducation sexuelle. Mais il lui manque les observations sur le vif et les travaux pratiques… Chantal, Agnès et Sonia seront ses dévouées monitrices.

Gwendoline découvrira qu’Odile, l’épouse disparue de Gérard, était une femme au tempérament sexuel. Et Gwendoline tombera follement amoureuse du veuf inconsolable

 

Seul,

Au taquet,

L’omnibus patiente dans la gare et attend ses abonnés.

15 heures 7 minutes et 3 secondes,

Le moteur demande pardon.

Numéro 55 330.

L’abdomen graisseux de sa cuirasse polluée d’huiles charbonneuses susurre dans l’apparent sommeil des chattes invisibles.

 

Le maître, son chauffeur, un gros monsieur vieux de seize mille deux cent cinquante jours, se mouche et éternue…

En diagonale, une mouche de fille, vingt ans physiquement de baisers chaque année, le lorgnait.

Admiration perverse, tiède après-midi, presque vêtue, dévoilant une bonde hystérique, elle mime l’empressement au jeu du satyre…

Symboles de passions et de sensualités d’orgasmes, me dis-je, toute chair de luxures vibre dans l’ivresse de ses lèvres démentielles…

(le chauffeur ! P’tit Louis, j’oubliais son nom, inscrit sur sa casquette).

 

Le convoi s’ébranle…

Les cœurs tonnent et s’étonnent dans l’écho d’un zéphyr…

Elle et lui, d’un tel thalle sauvage se mettent à tâtonner cyniquement des douceurs aux plaisirs.

Les champs de blé brûlent leurs rimes de soleil et un chant de criquets infuse à l’azur la somnolence des songes.

 

 

1

 

Après avoir traversé la Flandre, le convoi s’arrête à Douai. Je change de train pour Cambrai. Quitter un omnibus pour un autre mille-pattes, c’est comme un escargot sur le dos d’une tortue.

Je me retrouve avec plusieurs personnes dans le compartiment, alors que la chenille allait repartir, un voyageur s’est amené. Un homme quelconque, âge moyen, taille normale, visage de vieux débardeur, des verres de loupe comme lunette, moustaches d’avant guerre, chevelure clairsemée, ventre bedonnant, complet veston délavé sentant la sueur et l’urine, me donne la nausée. Il m’a salué d’un air de faux cul ; j’ai vaguement répondu d’un signe de tête, en détournant mon regard. Pourvu qu’il ne pète pas devant moi, pensai-je ! Pari perdu, il s’est assis en face de mes yeux. J’ai feint de regarder dans mon sac, pour me donner une contenance et trouver quelque chose à m’occuper. Je me rappelle du courrier que j’ai reçu du facteur, à la volée, avant de prendre le train. Ça tombe à point, pensai-je !

Je maintiens les cuisses serrées sur le bord du siège. La jupe que j’avais choisie pour ce voyage était confortable mais peut-être trop courte. Je devine que l’arrivant m’examine, des chevilles aux genoux, puis lorgne les bombements de mes seins, sous le chemisier collant. Encore un indiscret qui va attendre patiemment que je croise les jambes ; il ne sait pas que je porte une jupe culotte et que je n’ai pas le moyen de mettre mes fesses à l’air.

Je voyage depuis la veille au matin, j’ai traversé l’Écosse, l’Angleterre, le détroit du Pas-de-Calais. Repris  le train  pour Lille  et Douai  puis  Cambrai où je suis attendue. J’ai perdu des heures ici, un quart d’heure là.

 

3

 

De nombreux hommes  m’ont observée  avec convoitise,  l’un d’entre eux a essayé de me caresser mais ce n’était vraiment pas le moment de me taquiner. Pourtant ma tenue d’été n’est cependant en rien provocante : mes cheveux châtain clair sont noués en chignon, et mon chemisier n’est pas transparent. Je m’efforce d’ignorer mon entourage, je garde les paupières baissées, je ne souris pas aux inconnus et n’en ai d’ailleurs pas la moindre envie. Je viens d’être perturbée par une agression récente où un malade a forcé la porte de la maison de mes Parents, pour me fréquenter, a-t-il prétendu dire aux enquêteurs. Cela est arrivé un soir, au moment où j’étais seule. Je suis aussi pleine d’appréhension au sujet de la vie me souriant. L’homme qui m’attend est le mari de ma cousine Odile, décédée accidentellement.

Je peux avoir davantage de raisons à m’offusquer de ce périple que durant toute ma jeunesse. J’ai été élevée dans la crainte du péché ; je n’en ai commis que très peu jusqu’ici. Et qu’est-ce qu’un péché ? Tout est relatif. Tout est subjectif ! Pour l’un, c’est normal, pour l’autre, c’est quoi ? C’est comme pour la vérité, personne, dit-on, ne la détient.

L’homme ne se fatigue pas de me détailler, mais son attention me laisse parfaitement indifférente. Il n’est ni jeune, ni séduisant. Comment faire pour qu’il me laisse en paix, au lieu de me sentir protégée ?

Je me penche pour fouiller dans mon sac de voyage et ouvrir la grande enveloppe de mon amie d’école. Par inadvertance, j’écarte mes jambes et ne laisse rien entrevoir à cet individu qui me sourit en félicitant ma tenue. J’acquiece par un sourire forcé. Tout à coup, je ne me sens  plus épiée.  Il sort un journal  de sa poche et commence à le parcourir. Ouf, j’ai la paix, me dis-je ! Effectivement, cet inconnu ne me regarde plus de ma même façon. À la station suivante, des jeunes s’installent bruyamment à côté de lui ; il leur demande de changer de place. J’étais soulagée. C’est alors que mes cuisses commençaient à coller sur la banquette,  je souhaitais les aérer en les déplaçant.

« Il fait chaud » dit-il !

 

 

4

 

Pour m’affranchir, me dis-je, je vais bouger mes fesses. Ce que je fis avec soulagement. Ce monsieur m’a fixée pour m’assurer de sa présence.

« Ne soyez pas confuse, dit-il, c’est naturel, je peux vous être utile, prenez votre aise ».

J’étais rassurée. Malheureusement, à la prochaine station, il descendit.

Ce matin, quelque part entre Calais et Lille, entre ces gares, je me suis trouvée seule dans le compartiment, avec un grand garçon d’aspect sympathique, qui a tenté d’engager la conversation. Je ne répondis que par des monosyllabes. Il a déplié un plan de voiture où je voyais le schéma électrique du véhicule. Comme je me sentais ankylosée, je me suis levée, j’ai appuyé le front à la vitre. Je m’étais campée, les pieds à l’écart, pour résister aux cahots.

Soudain, j’ai sursauté. Une main s’était introduite, précautionneusement, sous le pan de ma jupe, avait remonté, sans frôler ma cuisse et se glissait à l’entrejambe de mon sexe. Quand j’ai réagi, un doigt tâtait déjà ma fraise des bois …

J’ai bondi en arrière, en poussant un cri d’indignation ; j’ai levé la main vers le signal d’alarme.

-- Hé là ! Ne faites pas çà, s’est écrié le garçon.

-- N’approchez pas, sinon…

-- Je croyais que vous en aviez envie ; a-t-il bredouillé.

À la façon dont vous vous étiez placée…        

Je vous demande pardon. Je m’en vais

Il a pris sa valise dans le porte-bagages, est passé devant moi, a disparu dans le couloir. Je suis retournée dans mon coin, le cœur à la chamade, les joues brûlantes.

Je respirais à grands coups afin de reprendre mon sang-froid. Mais un trouble insidieux m’avait saisie. Bien malgré moi. En un point précis de ma féminité, une sournoise tension s’affirmait au lieu de décroître. Un raidissement intime que j’éprouvais la plupart du temps lorsque je m’éveillais pendant la nuit sous l’effet d’un fantasme.

 

 

 

5

 

Il m’arrivait d’avoir recours à une heureuse manipulation, afin de pouvoir me rendormir. Il n’en était pas question aujourd’hui. Non, je n’allais pas me rendre aux toilettes, même sous le prétexte d’avoir recours à une compresse d’eau fraîche… Je m’étais peu à peu décontractée en pensant à cette main, à ce doigt quémandeur qui aurait pu me soulager. Il est trop tard, il est parti. C’est vrai que le temps perdu ne se rattrape jamais. Jamais, on ne retrouve les mêmes situations. Ici, un inconnu, je n’ai pas de compte à lui rendre.

Quelques instants après, j’entends des rires étouffés, j’ouvre les yeux autour de moi, puis je fais semblant de sommeiller. Un couple s’était installé à l’autre bout de ma banquette. L’homme, plus âgé que la fille, l’embrassait fougueusement sur la bouche. Elle avait l’air d’apprécier cela. Personne en face. Ils se rapprochaient l’un de l’autre; ils se tenaient fort mal, puisque l’avant-bras de l’homme, qui me tournait le dos, disparaissait sous la robe de sa compagne.

Laquelle chuchotait d’une voix chavirée :

-- Tu sais que nous ne sommes pas seuls.

-- Elle dort, réponds son mâle.

-- Si elle se réveille…

Je maintenais les yeux mi-clos, car la fille se penchait pour me dévisager.

-- Dépêche-toi, murmura l’homme.

J’entrouvre les paupières ; les bouches, alors, s’embrassaient et le coude de son amoureux était animé de soubresauts. Je n’étais pas complètement niaise ; au moment de ma puberté, ma tante m’avait fait lire un traité d’éducation sexuelle, pour me prémunir de mes camarades d’école. Je savais qu’il s’agissait d’une caresse digitale de l’organe érectile féminin  qui se pratique solitairement,  entre filles ou avec la main d’un garçon. J’avais vécu quelques expériences de ce genre. Je m’apercevais aussi que la tête de la jeune  fille reposait sur les genoux de son conjoint. Sa tête s’animait de sursauts. Je n’avais jamais assisté à une telle scène.

 

 

6

 

Certes, je n’aurais pas dû simuler le sommeil. Il n’était plus temps, maintenant, de manifester ma désapprobation. Je n’en n’avais pas l’intention : j’étais reprise par une excitation sensuelle plus intense que la précédente, sachant que je ne pouvais pas retirer ma culotte. Le souffle coupé, je m’approchais sur le bord de la banquette afin d’avoir de l’air, en écoutant les soupirs haletants de la jeune personne. Il me semblait que c’était moi qui bénéficiais de cette douce friction. Je fantasmai à l’idée d’être liée et de subir les assauts d’un mâle qui profiterait de mon corps. Quand un soupir culmina en une plainte vibrante, des contractions instinctives ébranlèrent mon sexe. Une sensation agréable, mais peu prononcée et de très courte durée…

J’avalai ma salive, je toussotai, m’étirai. Je constatai que le maintien de mes voisins était devenu convenable. Qu’est-ce être convenable ! Pensai-je. Ils s’entretenaient à voix basse ; je fis comme si j’ignorais leur présence.

Dès que le train ralentit, le jeune couple quitta le compartiment. J’étais abattue et mal à l’aise ; je ressentais quelque part une certaine humidité…

À l’arrêt suivant, des voyageurs survinrent, un couple et deux femmes. Dès que le train repartit, je me rendis aux toilettes, pour m’essuyer les lèvres et en revenir parfaitement nette. Et calmée.

La conversation de ces gens m’indispose. Ils parlent d’une voix aiguë, ce sont des mal élevés, pensai-je !  Leur sujet de prédilection tourne autour du mariage des cousins et belles-sœurs. Lequel s’est marié avec l’autre et l’autre qui est le fils de Marie, tout simplement dans leur cauchemardesque banalité.  Des êtres grand-guignolesques  aux raisonnements bancals. L’une des femmes décrit une charge terrible sur la beauferie ordinaire. C’est Irma, dit-elle, qui après l’école aux présences misérables, obtient un vague diplôme de couturière et, à dix-sept ans, rencontre le grand amour.

 

7

 

Son mari travaille dans une chaudronnerie. J’étais au mariage, dit-elle. Une vraie noce franchouillarde, viande avariée, concours de pets, et dégueulis compris. On a rigolé, c’était un vrai tintamarre. La mariée finit la robe retroussée dans les toilettes de la gargote crasseuse, un vieux lubrique entre les jambes ; elle n’aime que ça…

J’entendais de la salle qu’elle criait « encore, encore… ». Cette fille a besoin de jouir, c’est sa nature. Son mari dormait sur la table, entre les bouteilles vides de beaujolais pendant qu’un autre remplaçait le satyre…

À son patelin, il y a des gens qui savent qu’elle lèche le truc de l’âne, dans la pâture à Gaston. Je l’ai vue faire avec Zélia. Peu me chaut, ajoute-t-elle !

 

Quelle misère intellectuelle et quelle bêtise du genre humain, pensai-je ! C’est l’être humain décrit dans toute sa déliquescente vérité !

 

 

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