Le commissaire Sekekchoz est de nouveau sur la brèche ! Après l’Homme à Abattre, il doit retrouver cette Femme à Abattre.

Y parviendra-t-il ?

Il se trouve confronté à une Société Anonyme du Meurtre, composée d’un Consortium de Tueurs, dont l’activité principale est le meurtre à la tache, au contrat ! Ceux-ci meurent les uns après les autres ! Résoudra-t-il cette affaire, durant cette nuit de folie ! Il est aidé dans sa quête par l’inspecteur principal Delattre et l’inspecteur Delhaye.

CHAPITRE PREMIER

 

LA MORT DU TEMOIN

 

Bientôt deux heures du matin. La ville dort… La ville, avec ses buildings compacts et blancs, profilés vaguement sur le ciel nocturne. La ville avec ses rues vides, si vides que le seul bourdonnement d’une voiture attardée y éveille un écho brutal. La ville, avec ses enseignes clignotantes, rouges et blanches, racoleuses de fantômes. Jungle de pierre, créée par l’homme, désertée en cette heure par l’homme, décor monté, semble-t-il, pour quelque vision de cauchemar !

Mais, surgissant de la nuit, ce ne sont pas des cavaliers funèbres chevauchant de squelettiques montures, c’est un bolide de fer et de caoutchouc, une boîte noire, montée sur pneus, qui hurle de toutes ses sirènes.

Dans un bureau solitaire, salle 26, bâtiment de la Préfecture, le commissaire Sekekchoz, muté à la Brigade criminelle, se redresse soudain, percevant l’approche de la chose…

Et il pense à la peur, à l’homme que la peur étreint et qui se hâte vers lui à travers les ténèbres.

L’attente se prolonge. Le commissaire allume à son mégot une énième cigarette. La peur… ? Qu’en sait-il ? Qu’en sait-on ? Faut-il donc y voir un phénomène physiologique ou chimique, dans le cerveau qui, parfois, pétrifie le muscle, lui communique parfois une impulsion frénétique, qui distille la sueur, lui dessèche et lui râpe la gorge, qui lui tord les entrailles, épuise les poumons et libère la vessie ?

Le commissaire souffle sa fumée, grimace : des questions, toujours, mais pas de réponse ! La peur fait partie de la routine journalière dans l’exercice du métier. Pourtant, elle reste un mystère. C’est quelque chose comme une fièvre, maligne, contagieuse. C’est un virus comme le Covid, toujours présent, qui s’attaque à l’homme quand sa résistance faiblit, qui prolifère dans la foule et, bien entendu, dans les grandes villes où l’homme, créature soi-disant raisonnable, a tendu son réseau de câbles, de fils électriques et d’ondes électroniques, où il s’est érigé des palais de fer et de béton et s’est proclamé champion de la civilisation. Il y est pourtant la proie de toutes les craintes. Celle, évidemment, de la destruction atomique, mais aussi celle, plus anachronique, du poignard, de la corde, du poison et de la balle d’automatique.

Et s’armant de patience, il porte à ses lèvres sa cigarette. Au loin, enfin perceptible, la sirène miaule. C’est la peur qui accourt à travers les ténèbres, dans sa carapace blindée, sous la protection armée de la police. La peur personnifiée par un homme aux abois. La peur qui galope au rendez-vous par les rues vides et muettes.

Il souffle patiemment un jet de fumée bleue. Il a appris au moins une chose sur la peur, lui, l’homme de bon sens, le flic, le chasseur dans cette jungle de béton, que la peur peut être exploitée !

Et tandis que le miaulement de la sirène se rapproche, sans hâte, il remplit de fumée bleue ses poumons et l’air étouffant de la pièce.

Le fourgon blindé, venant de la prison de Loos, s’engouffre dans le garage vide et aveuglant de lumière.

 

6

Le moteur s’apaise. Des hommes, vêtus de bleu, le visage blafard sous le feu brutal des ampoules, encerclent le véhicule, épaule contre épaule. On voit luire les boucles astiquées de leur ceinturon, leurs insignes, leurs accessoires de cuir, et jaillir des reflets sombres sur les canons noirs des armes automatiques.

Les hommes tournent le dos au fourgon, l’arme à la hanche, pointée vers les portes encore ouvertes du garage. Le silence tombe. Un silence qui ne peut être déchiré, semble-t-il, que par le fracas répercuté d’une grêle de plomb.

Mais il n’en est rien. La ville endormie bénéficie d’un sursis. Son sommeil, cette fois, ne sera pas troublé. Un lieutenant de police frappe trois fois contre l’acier de la porte. Et quelqu’un, de l’intérieur, lui répond dûment par trois coups étouffés. La porte s’ouvre lourdement, pivotant sur des gonds huilés, comme le panneau d’un coffre-fort. Un chargement humain peut être, parfois, aussi précieux que les valeurs cotées.

Un homme apparaît, un petit bout d’homme d’un mètre soixante-cinq au plus, vêtu d’un costume croisé de coupe ample, trop ample, dirait-on même, pour sa taille. Son chapeau à larges bords est bizarrement perché sur sa tête. Mais à l’ombre du chapeau, les traits sont nets et alertes et les lèvres charnues se gonflent, comme serrées sur une invisible cigarette. Il saute sur le sol bétonné, embrasse la scène du regard, puis s’écarte, dégageant la porte. Un autre personnage apparaît alors, massif celui-là, et qui remplissait abondamment ses vêtements. Et le chapeau qu’il porte est une véritable coiffure et non un grotesque ornement. Ses traits ont une impassibilité quelque peu butée et son menton saille comme un promontoire.

 

7

Lui aussi descend du fourgon, mais son bras gauche ne suit pas le mouvement. Il se tend en arrière, comme s’il se refusait à abandonner l’abri blindé.

D’une brève secousse, l’homme tente de ramener son bras récalcitrant et prononce :

- Allez, Rico, descends !

Une troisième silhouette surgit. Un homme ? Une bête traquée, plutôt, une masse de nerfs torturés et de peau en sueur, prête à griffer, à mordre, au moindre geste, au moindre mot, au moindre regard. Il a tombé la veste pour soulager son corps en nage, et dénoué sa cravate. Ses cheveux noirs retombent en minces lanières brillantinées sur le front luisant. Pourtant, on ne décèle aucune veulerie dans sa physionomie. Il y a même de l’harmonie dans sa structure osseuse et musculaire. L’homme, jadis, devait dégager une certaine puissance brutale et mauvaise. Le dessin de la bouche est ferme et, sous des paupières un peu lourdes, les yeux sont intelligents, rusés. Jadis sûrement… Aujourd’hui, ce n’est même plus un visage.

C’est un assemblage fortuit d’éléments, sur le point de se désagréger. La mâchoire inférieure pend, détachée, semble-t-il, du reste de la figure, et les yeux saillent comme si, d’un instant à l’autre, ils allaient jaillir des orbites.

C’est l’incarnation même de la peur. C’est Rico.

L’inspecteur préposé plus particulièrement à sa surveillance et qui répond au nom de Delattre, donne une nouvelle secousse à la chaînette d’acier qui relie leurs poignets et dit :

- Allons-y !

Les silhouettes de bleu vêtues entourent les deux hommes, et le groupe  s’ébranle  vers la cour  intérieure,