RECUEIL

de NOUVELLES

 

TOME 3°

 

 

Par

 

HECTOR MELON D’AUBIER

 

 

RECUEIL de NOUVELLES

TOME 3°

 

 

ERUPTION DE BOUTONS

LA CAGNOTTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA CAGNOTTE

 

PAR

 

HECTOR MELON D'AUBIER

 

 

LA CAGNOTTE

 

Quel est ce doux mot qui porte intérêt à ceux qui l'entendent et refreinent ceux à qui elle appartient !

Généralement, la cagnotte est une réserve d'argent qui doit servir dans un avenir proche ou tout simplement en prévision d'une dépense imprévue. Il s'agit donc d'une épargne produisant ou non des d'intérêts.

Certains, qui n'ont pas de cagnotte, traitent les cagnotteurs d'avare, de rat, de pingre, de rapiat, de radin; de grigou alors qu’eux se disent tout simplement "économes".

C'est ainsi que M. et Mme Pulchéry LAPCHIN, après leur mariage tardif, ont acheté une maison qu'ils ont équipée comme il fallait pour vivre chichement. Ils ont eu trois enfants : un garçon, l'aîné Alfred; deux filles, Roselle la cadette et Madeleine la benjamine. Comme ils n'avaient pas trop confiance aux banques, ils se constituaient une cagnotte en fonction de diverses éventualités.

La cagnotte était un petit coffre en fer contenant diverses enveloppes: une pour la maladie, une autre en cas de décès de l'une ou de l'autre en plus d'une assurance vie, une autre encore pour les vacances, une pour la rentrée des classes et encore une pour les communions puis les mariages; parfois il fallait opérer en vases communicants.

 

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Enfin, la famille ne manquait de rien et ne visait pas de gros ou impossibles besoins.

Puis vint le temps des mariages et du départ des enfants. Les LAPCHIN se retrouvaient seuls après avoir passé la cinquantaine.

Ils travaillaient tous les deux et profitaient de leurs loisirs; leurs enveloppes se remplissaient sans le vouloir. Ils leur arrivaient pourtant d'aider leurs enfants, déjà pour s'installer, puis pour les petits enfants: cadeaux de Noël et de Communion, ils envisageaient même les futurs mariages. Heureusement ils n'en avaient que deux chacun; Leurs enfants ne désirant pas se construire une grande famille.

Une règle, en place, existait cependant: ce que l'on donnait à l'un des enfants, les deux autres le recevaient également en temps voulu, actualisé même. M. Pulchéry tenait un véritable livre de compte. Il ne voulait pas que ces enfants se disputent après leur décès, à lui et son épouse.

C'est ainsi que les années inéluctablement s'écoulent jusqu'à leurs 60 ans. Ils avaient le même âge, ils prirent leur retraite en même temps. Ils firent une soirée pour fêter ça avec la famille, les parents et les amis.

<< Cha nous a pon couteu ker, in avot fait inn' inveloppe pou ch' jour chi. >>

Ils en profitèrent pour acheter un mobil home et passer des vacances au soleil, en Ardèche. Ils profitaient des deux mois de vacances, juillet et août. Lorsqu'on lui parlait de ses enveloppes, il répondait :

<< Yn' n'a pus, in a tout dépinsé.

In profite, nos-z'aute. >>

 

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Malheureusement ce bonheur ne dura que quelques années. Mme PALCHIN décéda quelques temps après avoir fété ses 65 printemps.

M. PALCHIN  eut du mal à accepter cette absence.

Puis deux ans plus tard, il reprit goût à la vie. Par quel miracle! Ses enfants ne le surent jamais, ils acceptèrent donc cet état de fait.

M. Pulchéry avait pris une décision sans appel; après renseignements et étude approfondie de la chose.

Il avait vu un notaire et mis sa maison à charge de viage. Il avait tenu à ce que le futur acquéreur, le débirentier que nous appellerons « le viageur », ne soit pas lésé dans sa décision. Ainsi outre les frais de notaire, ce dernier versa la moitié du prix de la maison, et l'autre moitié à tempérament sur quinze ans, axés sur le coût de la vie. Ensuite, plus de versement, mais Pulchéry garderait la jouissance de son ex-bien jusqu'à sa mort.

 

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Le viageur s'engageant en outre à assurer l'entretien du dit bien. L'accord prévoyait également la propriété des biens mobiliers, ceux-ci se trouvant consigné dès lors dans un inventaire, ne lui laissant à disposition de ses héritiers que des effets personnels ou autres stipulations. Comme le contenu de la garde-robe, là où se trouvait le coffre, le bureau de travail et ce qu'il contenait, une armoire américaine avec son contenu, c'est à dire les dossiers familiaux et personnels de Pulchéry, ainsi que le contenu de la cave et du garage.

M. PALCHIN avait rangé précieusement l'argent issu de la vente. Ses enfants n'avaient pas accès à ses documents bancaires et c'est tant mieux, car il vidait son compte dès le versement de sa pension, ne laissant que le nécessaire à divers prélèvements. Il restait par ailleurs fidèle à sa doctrine d'aider ses enfants d'une manière identique mais limitée car comme il le disait souvent :

<<J'né qu'inn' tiote pinsian, mi! >>

Ainsi des années s'écoulèrent tranquille. M. PALCHIN entassait toujours des billets dans ses enveloppes. Le viageur faisait des aménagements dont il profitait pleinement et s'en octroyait le financement en disant :

<< Mi, j'dépinse sous pou min confort. J'eun'mouré pon aveuc. >> Ce qui était entièrement faux pour nous qui le connaissons.

 

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Il partait en vacances les trois mois d'été ; pour ce faire, il avait revendu son mobil home d'Ardèche et en avait acquéri un, plus près, dans les environs de Berck, laissant la maison au viageur. L'excuse pour ses enfants était de ne pas laisser la maison vide sans surveillance et disait-il, ça compense ma location de vacances d'une part et de l'autre je ne vous oblige pas.  Il revenait tous les quinze jours pour le peu de courrier qu'il recevait encore, et passait dire un bonjour à ses enfants.  Ceux-ci par ailleurs ne s'hasardaient pas à contrôler ce que pouvaient faire les locataires de leur père.

 

Il fêta allégrement ses quatre vingt un printemps. Tous lui souhaitèrent de vivre centenaire. Il n'allait, disait-il, au médecin qu'une fois par an pour confirmer à la Sécurité Sociale qu'il vivait toujours.

Pourtant un beau matin d'hiver, une embolie l'emporta. La femme de ménage qui venait faire un peu de ménage chaque semaine le trouva mort dans son lit. Une belle mort ! Avait-il souffert ? On ne le saura jamais.

Alors que les enfants se trouvaient réunis en début d’après-midi, un homme vint les trouver après avoir béni le corps ; Il demanda à voir en aparté le fils et les deux filles.

<< Voilà, dit-il, je ne sais si votre père vous l’a dit, mais la maison et les biens mobiliers m’appartiennent. Nous avons conclu un accord de viager il y a une quinzaine d’année. Il arrive même à terme dans un an. Je vous laisse une copie des documents. Je vous demanderai donc de ne toucher à rien. Je vous laisse les clefs jusqu’au jour de l’enterrement. Vous aurez une journée ensuite pour prendre ce qu’il vous a légué. Concernant l’année de viager restante, le notaire vous informera des modalités de paiements.

Toutes mes condoléances. Monsieur, mesdames. >>

 

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Il sortit des documents de sa poche qu’il remit au fils et partit laissant estomaqué, si l’on puit dire, les trois personnes.

<<Ca alors ! Ca alors ! >> parvint à balbutier la fille cadette.

<< Qu’est-ce qu’on fait ? >> demanda Alfred le fils aîné.

<< On touche à rien, on verra après l’enterrement, par contre  je me demande s’il nous a laissé ses précieuses enveloppes et si on va les trouver encore emplies. >> Dit la seconde fille.

<< On verra ! Ce qui m’embête, c’est qu’il nous a gâché nos funérailles, ce con ! Il ne pouvait pas attendre ! >> reprit Alfred.

Sur ce, ils repartirent rejoindre le reste de la famille et comme on s’en doute en discutèrent toute la soirée, sans pour autant que l’un d’entre eux ne chercha à découvrir la fameuse cagnotte que le défunt aurait pu amasser.

L’enterrement se déroula dans le plus profond recueillement. Un vin d’honneur fut servi à l’issue du retour du cimetière. L’homme, le viageur, se trouvait là également, aucune animosité à son égard ne fut perçue de la part de la famille.

 

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Lorsque les convives eurent quitté la salle, il s’entretient de nouveau avec les enfants du défunt.

<< Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous pourrions évaluer l’inventaire dont vous devez disposer afin que vous puissiez prévoir des moyens de transport.

Je ne vous gênerais pas, votre père était un homme e confiance, j’en pense autant de vous. Je vous laisse donc les clefs jusque demain soir dix huit heures. Vous aurez ainsi le temps de procéder au déménagement de vos biens en toute sérénité. >>

<< D’accord ! >> Avança le fils aîné.

Ils firent ainsi le tour de la maison, le viageur avait pris soin de se munir de feuilles de papier pour que les héritiers puissent noter ce dont ils avaient le droit d’emporter.

Vers vingt heures, ils se quittèrent. Les enfants du défunt ayant pu évaluer le nombre de cartons qu’il leur sera nécessaire d’amener, la possibilité de disposer d’une camionnette et de se retrouver le lendemain matin à huit

 

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